Eliminalia, le nettoyeur du Web aux clients peu recommandables


Faire disparaître des articles de presse compromettants ou publier massivement des contenus élogieux… Par les services qu’elle propose, l’industrie de la réputation numérique peut attirer des clients peu recommandables. Officiellement, Eliminalia, une société espagnole qui appartient en réalité à l’entité ukrainienne Maidan Holding, assure que ses interventions aident à retirer « les contenus indésirables et erronés » sur le Web. Pourtant, près de 50 000 documents internes d’Eliminalia, analysés par Le Monde et ses partenaires du consortium Forbidden Stories, contredisent cette version. Ils montrent que cette société de gestion de réputation travaille avec des arnaqueurs, des vendeurs de logiciels espions, des criminels et des politiciens corrompus pour masquer des informations d’intérêt public.

« Story Killers », enquête sur les mercenaires de la désinformation

Durant plusieurs mois, une vingtaine de rédactions, dont celle du Monde, ont enquêté, au sein du consortium Forbidden Stories, sur les entreprises spécialisées dans les manipulations d’opinions publiques et la diffusion de fausses informations. Dans le cadre de ce projet baptisé « Story Killers », trois journalistes du consortium ont notamment pu participer, en se faisant passer pour des intermédiaires d’un potentiel client français, à plusieurs rendez-vous avec des officines vendant des outils d’influence « clés en main ».

Cette enquête a notamment permis de révéler l’existence de « Team Jorge », une très discrète société israélienne qui revendique son ingérence dans plusieurs dizaines d’élections à travers le monde. Elle offre à ses clients un arsenal de services illégaux, depuis le piratage des boîtes e-mail et messageries privées d’adversaires jusqu’à la diffusion massive de campagnes d’influence grâce à un gigantesque réseau de faux comptes sur les réseaux sociaux.

Le projet « Story Killers » a permis d’étudier ces documents internes et d’identifier plus de 1 500 anciens et actuels clients d’Eliminalia dans cinquante-quatre pays et cinq continents. Parmi eux, un médecin accusé d’avoir dirigé un centre de torture durant la dictature chilienne, un ancien cadre de la Banca Privada d’Andorre accusé de blanchiment d’argent, ou encore un homme d’affaires brésilien impliqué dans un réseau mondial de prostitution. Forbidden Stories a également identifié des clients liés au crime organisé, comme le Géorgien Malchas Tetruashvili, condamné pour blanchiment d’argent au profit d’un membre de la mafia russe.

Certains clients ont payé un petit pactole pour faire effacer leurs traces en ligne. Ainsi, Pedro Miguel Haces Barba, patron syndical mexicain épinglé en 2019 pour des contrats avec deux gouverneurs plus tard arrêtés pour corruption, a dépensé 110 000 euros pour obtenir la disparition de 300 articles sur le Web. En France, la société minière AMR Bauxite, qui fut accusée d’évasion fiscale, a versé 155 000 euros à Eliminalia pour supprimer ou désindexer des articles. Et pour un client israélo-argentin, accusé d’avoir blanchi des fonds pour le régime d’Hugo Chavez au Venezuela, la facture s’est élevée à près de 400 000 euros.

Portraits particulièrement flatteurs

Une enquête menée par Qurium, une ONG suédoise, a permis de mettre au jour les tactiques employées par Eliminalia pour faire disparaître les articles de presse compromettants pour ses clients. La société cible aussi bien les journalistes que les hébergeurs des médias, en leur demandant de retirer les textes concernés. Et quand cela ne fonctionne pas, la société espagnole contacte directement Google et tente de faire « désindexer » les articles en question du moteur de recherche, en détournant le droit européen issu du règlement général sur la protection des données ou la loi américaine entourant le droit d’auteur. Les documents internes d’Eliminalia montrent que l’entreprise utilisait parfois des faux noms ou des adresses e-mail usurpant des institutions juridiques. Contacté, Google assure se montrer transparent sur ces désindexations de contenus et laisser la possibilité aux sites concernés de faire appel.

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